Note : Ceci est un résumé d’un article publié par notre éditeur Christian-Geraud Neema pour l’Africa Policy Research Institute
Trois acteurs majeurs des chaînes d’approvisionnement mondiales en minerais critiques – l’Union européenne (UE), la Chine et les pays africains – se trouvent à un tournant décisif. Alors que la demande en minerais essentiels à la transition énergétique et numérique explose, la dépendance de l’UE à la Chine, la montée en puissance industrielle de Pékin et les ambitions de valorisation locale du continent africain compliquent la perspective d’une coopération trilatérale fluide. Un rapport d’Africa Policy Research Institute (APRI) met en lumière les défis, les opportunités et les scénarios possibles pour transformer cette interdépendance en partenariat gagnant pour tous.
Contexte : rivalités et dépendances
L’UE importe plus de 50 % de ses matériaux critiques de Chine, qui domine non seulement l’extraction mais surtout la transformation et le raffinage des minerais (cobalt, lithium, terres rares, etc.). De leur côté, les pays africains, riches en ressources, réclament depuis des années un développement industriel local plutôt que l’exportation de matières premières brutes. Les initiatives européennes – Critical Raw Materials Act, Global Gateway et Mineral Security Partnership – visent à diversifier les approvisionnements et à promouvoir des standards de durabilité et de transparence. Mais ces projets se heurtent à la réalité d’infrastructures encore limitées en Afrique et à la position dominante de la Chine dans le midstream et le downstream .
Bilatérales sous tension
- UE–Chine : malgré la tentation du « découplage », les entreprises européennes maintiennent des co-investissements en Chine, notamment dans les usines de batteries (CATL en Hongrie, Espagne) et les projets de gigafactories en Europe.
- Chine–Afrique : Pékin a multiplié les investissements dans les mines de cobalt en RDC, de bauxite en Guinée, de lithium au Zimbabwe et au Mali, imposant souvent des règles d’exportation locales pour forcer l’implantation d’unités de raffinage.
- UE–Afrique : l’UE a signé des mémorandums d’entente avec la Namibie, la Zambie, la RDC et le Rwanda, visant à installer des infrastructures de transformation et à former les compétences locales.
Ces relations bilatérales, bien que dynamiques, restent fragmentées et souvent calquées sur des logiques concurrentielles plutôt que collaboratives.
Obstacles à surmonter
Selon AfriPoli, trois grandes barrières compliquent la mise en place d’une coopération trilatérale :
- Fragmentation des chaînes : la diversité des acteurs publics, semi-publics et privés rend la coordination complexe.
- Asymétrie des capacités : l’écart de puissance industrielle entre la Chine et l’UE, ainsi que l’infrastructure limitée en Afrique, déséquilibre les négociations.
- Objectifs divergents : sécurité des approvisionnements et normes pour l’UE, maintien de l’accès aux matières premières pour la Chine, valorisation locale et recettes fiscales pour l’Afrique .
Une convergence possible : midstream et downstream
Les auteurs recommandent de focaliser la coopération sur les segments à forte valeur ajoutée :
- production de précurseurs de batteries (cathodes, anodes, électrolytes) ;
- assemblage de cellules et de modules ;
- montage de packs de batteries ;
- recherche-développement et formation.
Ces segments concentrent près de 9 000 milliards USD de valeur, contre seulement 55 milliards pour l’extraction et le raffinage bruts, offrant ainsi un terrain d’entente économique et stratégique .
Scénario pilote : la RDC
La République démocratique du Congo, premier producteur mondial de cobalt (70 % de la production), se présente comme le cas d’école pour un partenariat trilatéral :
- Mécanisme : création d’un consortium réunissant l’État congolais, la société nationale Gécamines, des entreprises chinoises et européennes.
- Investissements clés : fourniture d’énergie propre (Global Gateway), formation technique des travailleurs, construction d’usines en joint-venture (50 % détenue par Gécamines).
- Logistique : usage du corridor de Lobito (Angola) pour acheminer les produits finis vers l’Europe et l’Asie.
Les retombées attendues incluent la montée en compétences, la création d’emplois qualifiés, l’augmentation des recettes fiscales pour la RDC – tout en garantissant à l’UE un approvisionnement sécurisé et à la Chine le maintien de sa position dominante.
Pour réussir
AfriPoli identifie quatre facteurs de succès :
- Leadership africain : les pays producteurs doivent piloter les négociations en veillant à l’équilibre des intérêts.
- Cadre public-privé clair : engagements fermes sur le transfert de technologies, le respect des normes environnementales et la répartition équitable des bénéfices.
- Vision long terme : l’UE doit assouplir son calendrier (objectif 2030) pour des partenariats durables, et la Chine doit traduire ses promesses en investissements concrets.
- Renforcement des capacités : développement des infrastructures énergétiques, soutien à la R&D, formation et accompagnement des PME locales.
Perspectives
Si la trilatérale UE-Chine-Afrique reste aujourd’hui un concept ambitieux plus qu’une réalité, l’exemple congolais montre que des modèles opérationnels peuvent émerger. Dans un contexte géopolitique tendu, une telle coopération pourrait non seulement sécuriser les chaînes mondiales des minerais critiques, mais aussi propulser l’industrialisation et le développement durable en Afrique. L’heure est venue de transformer rivalités et dépendances en opportunités partagées.
LECTURE RECOMMANDÉE:
- Africa Policy Research Institute: The tumultuous path toward EU-China-Africa trilateral cooperation on Critical Raw Materials in Africa




