Dans le débat sur le développement et la lutte contre la pauvreté, le narratif chinois a – et aura encore – plus de poids et de légitimité en Afrique que celui porté par les pays occidentaux. Une telle affirmation peut surprendre, voire paraître provocatrice, mais elle repose sur une réalité simple: l’expérience vécue de celui qui porte le message compte.
À travers le continent, on observe régulièrement des journalistes, fonctionnaires ou décideurs politiques devenir ouvertement « pro-Chine » – quelle que soit la signification que l’on donne à ce terme – après une visite à Pékin, Shanghai ou dans certaines zones rurales chinoises, soigneusement choisies par les autorités. Face à ce basculement, beaucoup en Occident s’étonnent et peinent à comprendre l’attrait exercé par la Chine. Ils évoquent naïveté ou ignorance, sans chercher à analyser plus profondément ce phénomène. Or, la question essentielle demeure : pourquoi le narratif chinois résonne-t-il plus fortement parmi ces Africains ?
La réponse réside dans l’expérience vécue. Pour de nombreux Africains, décideurs comme citoyens, les officiels chinois ne défendent pas un modèle abstrait ; ils racontent leur propre histoire. Un diplomate ou cadre chinois dans la quarantaine, la cinquantaine ou la soixantaine a probablement connu la pauvreté, grandi dans une Chine marquée par la pénurie, l’absence d’infrastructures et de services publics de qualité – une réalité qui n’est pas étrangère à l’Afrique. Quand il parle de sortir des millions de personnes de la pauvreté ou de l’impact de la construction de routes sur la croissance, il parle avec mémoire et conviction, non en théoricien, mais en témoin direct de transformations vécues.
À l’inverse, le discours occidental apparaît souvent déconnecté. Lorsqu’un diplomate de Washington, Paris ou Bruxelles vient critiquer les choix africains – l’endettement pour des infrastructures ou la dépendance aux prêts chinois – ses propos manquent de poids. Non seulement en raison de l’héritage colonial et de son impact durable, mais aussi parce que celui qui parle n’a jamais connu la pauvreté ni l’absence d’infrastructures de base. Ses arguments, valables ou non, demeurent théoriques.
Voilà pourquoi le narratif chinois trouve un tel écho. Il s’appuie sur des transformations tangibles : la modernisation fulgurante de la Chine depuis les années 1980 et la sortie de 800 millions de personnes de la pauvreté. Ce récit dit : « C’est possible, cela peut être fait. » Il est porteur d’un espoir concret.
Pour les partenaires occidentaux, la question est donc claire : votre narratif est-il légitime ? Porte-t-il un espoir crédible de changement pour des millions d’Africains ? Car critiquer la Chine est aisé, mais tant qu’on n’a pas traversé soi-même les épreuves du sous-développement, les mots risquent de sonner creux.
En Afrique comme dans de nombreux pays du Sud, le narratif chinois du développement continuera de dominer. Car il ne s’agit pas seulement d’un discours, mais d’une expérience vécue.




