L’importance politique de l’Afrique pour la Chine est très souvent ignorée en faveur d’une importance économique exagérée, pourtant contredite par les données économiques et commerciaux entre ces deux partenaires. Les chiffres sur les investissements chinois à l’étranger et des échanges commerciaux entre la Chine et l’Afrique révèlent combien l’Afrique n’est en réalité qu’un partenaire économique marginal pour Pékin.
Hormis quelques pays – R.D.Congo, Guinée, Zambie, Zimbabwe – riches en ressources naturelles et stratégiques pour la Chine, l’atout principal du continent africain vis-a-vis de la Chine est avant tout un atout politique. Cette importance politique s’accroit au fur à mesure que les ambitions politiques de Pekin au sein du système international croissent.
Dans une analyse publiée pour le Africa Center for Strategic Studies, un think-tank basé à Washington, Paul Nantulya, revient sur l’importance politique de l’Afrique dans la stratégie multilatérale de la Chine.
L’importance politique de l’Afrique
REDEFINIR LES NORMES INTERNATIONALES: L’Afrique tend à voter comme un bloc homogène dans les instances internationales. Obtenir son soutien, c’est se garantir un nombre de voix nécessaires pour faire passer ses idées dans les instances internationales. Et depuis bien des années maintenant, plusieurs pays africains tendent à voter constamment en faveur des positions défendues par la Chine.
« […] En 2016, avec le soutien de l’Afrique, la Chine a parrainé le Fonds d’affectation spéciale des Nations unies pour la paix et le développement avec une contribution de 200 millions de dollars sur 10 ans […] L’augmentation des contributions multilatérales de la Chine a renforcé son pouvoir de vote dans l’ensemble du système multilatéral, ce qui lui permet de peser davantage dans l’élaboration des agences mondiales, de leurs normes et de leurs méthodes de travail […] Le soutien de certains membres de l’Union africaine (UA) était particulièrement paradoxal compte tenu des normes établies de l’UA en matière de droits de l’homme. Cela reflétait le soutien chinois à l’initiative de certains gouvernements africains visant à se retirer de la Cour pénale internationale (CPI) en échange du soutien continu de ces gouvernements aux positions diplomatiques de Pékin. »
EXPANSION DE L’INFLUENCE CHINOISE : Les pays africains ont joué un role central dans la reconnaissance de la République Populaire de Chine comme membre des Nations-Unies en lieu et place de Taiwan. Du reste, non seulement la grande majorité des pays africains ne reconnaissent pas Taiwan, plus encore au niveau international, ils prennent fait et cause pour la Chine. L’année passée, on a pu observer comment près d’une quarantaine de pays africains ont manifesté leur soutien à Pékin en condamnant la visite de Nancy Pelosi à Taiwan.
« Les votes africains ont été décisifs dans le débat de l’Assemblée générale des Nations unies en 1971, qui a permis à la Chine communiste de réintégrer l’ONU et d’expulser Taïwan […] En fait, les accords bilatéraux et régionaux conclus par la Chine en Afrique comportent deux éléments standard : le « principe d’une seule Chine » et le soutien mutuel sur les questions de gouvernance mondiale. Ces éléments sont énoncés dans divers protocoles d’accord entre l’UA et la Chine et, plus récemment, dans le plan d’action de Dakar (2022-2024) du Forum de coopération Chine-Afrique. »
NOUVELLES INSTITUTIONS MONDIALES: Avec ses votes et son soutien réguliers aux positions de la diplomatie chinoise, les pays africains sont des partenaires essentiels pour Pékin dans ses ambitions de créer de nouvelles alternatives aux institutions mondiales existantes.
« L’Afrique a également joué un rôle central dans les efforts actuels de la Chine pour construire une architecture alternative des institutions mondiales. L’Afrique du Sud est l’un des membres fondateurs de la Nouvelle banque de développement basée à Pékin, créée en 2014 par les États BRICS (Brésil, Russie, Inde et Afrique du Sud) pour fournir un mécanisme en dehors de la Banque mondiale permettant aux emprunteurs d’accéder à des prêts garantis par la Chine et à d’autres instruments financiers. De même, 10 pays africains et 9 pays potentiels ont rejoint la Banque asiatique de développement des infrastructures – un autre mécanisme de financement créé par la Chine en 2015. »
Il serait erroné de se convaincre que l’Afrique ne saurait se prévaloir d’un quelconque levier de négociations face à la Chine. Son importance politique pour la Chine demeure sans aucun doute son levier le plus important et il revient donc à chaque pays individuellement, mais aussi aux organisations continentales africaines d’en tirer profit.
LECTURE RECOMMANDÉE
- Africa Center For Strategic Studies: Africa’s Role in China’s Multilateralism Strategy par Paul Nantulya.