Considéré par beaucoup comme une étape majeure et concrète des États-Unis pour contrer la Chine dans la chaîne d’approvisionnement des minerais stratégiques en Afrique, le protocole d’accord entre les États-Unis, la RDC et la Zambie, signé en décembre dernier à Washington, autour de l’industrie des batteries pour véhicules électriques, devra surmonter des obstacles considérables pour être un succès pour ces trois pays, mais beaucoup plus pour la RDC et la Zambie.
Les deux pays sont parmi les principaux producteurs mondiaux de cuivre et de cobalt – la RDC produit elle-même 67 à 70 % du cobalt mondial – qui sont essentiels à la production de batteries pour les véhicules électriques. La Chine est depuis de nombreuses années l’acteur dominant dans le secteur minier dans ces deux pays. En RDC, elle contrôle près de 80 % de la production de cuivre et de cobalt et transforme 73 % du cobalt mondial.
La domination chinoise dans les minerais strategiques, essentiels à la transition énergétique, inquiète plusieurs en Occident, notamment aux États-Unis, où l’administration Biden cherche à accroitre les ventes de véhicules électriques d’ici 2030.
L’accord signé en décembre dernier à Washington lors du sommet États-Unis-Afrique témoigne de la volonté de l’administration Biden d’agir et de réduire autant que possible la dépendance américaine vis-à-vis de la Chine.
Des efforts politiques ont été menés en R.D. Congo où les Etats-Unis ont poussé le président Tshisekedi à réviser les contrats chinois conclus sous son prédécesseur. Jusqu’à présent, cette démarche n’a pas pu donner de résultats concrets, au grand dam de Washington.
Avec cet accord, les Etats-Unis font un pas vers une approche plutôt concrète en répondant aux besoins économiques et industriels de ces deux pays qui ont récemment signé un accord bilatéral pour la fabrication des batteries pour les véhicules électriques.
Au-delà de toute l’effervescence autour de cet accord et des débats qu’il suscite, examinons les facteurs susceptibles d’influencer son succès :
Aspects à considérer
– UN ACCORD NON CONTRAIGNANT : L’accord n’est jusque là que la simple expression de l’intérêt des trois pays à travailler ensemble. Il ne garantit pas sa mise en œuvre qui, elle, dépend de nombreux facteurs – internes à la politique américaine – que l’administration Biden ne saurait forcément contrôler ou anticiper. Et comme il est dit dans l’accord : « Ce protocole d’accord n’est pas destiné à être juridiquement contraignant et ne constitue pas une obligation de fonds. Toutes les activités poursuivies dans le cadre de ce protocole d’accord sont soumises à la disponibilité des fonds ».
– SOUTIEN DU SECTEUR PRIVÉ AMÉRICAIN : La mise en œuvre effective et le succès de cet accord dépendront en partie – si pas entièrement – de la capacité de l’administration américaine à convaincre les entreprises privées américaines à investir en RDC et en Zambie. Au cours des dernières années, l’industrie minière congolaise et surtout son cobalt ont acquis une réputation assez néfaste aux Etats-Unis. De la corruption au travail des enfants, l’administration Biden devra proposer des mesures incitatives fortes aux entreprises américaines pour qu’elles investissent en RDC. A cet effet, l’accord stipule : » Les États-Unis ont l’intention de prendre les mesures appropriées pour sensibiliser le secteur privé et les investisseurs américains à ce projet congolo-zambienne sur les batteries pour véhicules électriques. Cela pourrait inclure le développement commercial, le cas échéant… »
Deux types de mesures incitatives peuvent être envisagés ici :
- DES MESURES COMMERCIALES : L’administration Biden devra envisager un large éventail de mesures économiques pour les entreprises engagées dans le secteur des minerais essentiels. Et la Inflation Reduction Act semble répondre à ces questions, du moins à une partie.
- MITIGATION DES RISQUES : Un énorme travail devra être fait sur le terrain, tant en RDC qu’en Zambie. La corruption et la mauvaise gouvernance dans le secteur minier ne sont que des symptômes d’un problème plus vaste de gouvernance dans ces pays. Pour les résoudre, il faudra un engagement politique profond, cohérent et permanent de la part des Etats-Unis, et ce qui pourrait bien prendre longtemps avant de créer les conditions idéales pour une gouvernance minière efficace.
– MARGE DE MANOEUVRE DE LA ZAMBIE ET DE LA RDC : Dans un contexte où les Etats-Unis tentent de contrer la Chine dans la chaîne d’approvisionnement des minerais stratégiques, la mise en œuvre d’un tel accord pose la question de la réelle marge de manoeuvre dont jouissent la RDC et la Zambie qui ont récemment exprimé leur opposition à l’idée de choisir entre la Chine et les Etats-Unis.
Une clause du protocole d’accord pourrait bien tester les limites de leurs déclarations et leur capacité à manoeuvrer dans cet accord.
La section II.1 du protocole d’accord stipule :
» Les participants ont l’intention de collaborer dans le cadre d’études de faisabilité, de services de conseil et de possibilités d’assistance technique pour faciliter des appels d’offres transparents et concurrentiels afin de trouver les entrepreneurs et les partenaires les plus performants et les plus rentables pour faire progresser l’accord de coopération RDC-Zambie sur la mise en place d’une chaîne de valeur dans le secteur des batteries électriques et de l’énergie propre. Chaque Participant peut déterminer lui-même si un projet est adapté à l’investissement. »
Les entreprises chinoises pourraient-elles être prises en compte dans le cadre de cet accord si elles venaient à proposer des offres plus performantes et plus rentables ? Seraient-elles exclues si tel était le cas ? Le choix économique objectif sera t-il sacrifié sur l’autel des intérêts et des considérations géopolitiques américains?
Quid des entreprises chinoises?
Les entreprises chinoises pourraient-elles être prises en compte dans le cadre de cet accord si elles venaient à proposer des offres plus performantes et plus rentables ?
L’hypothèse de départ ne peut et ne saurait être l’incapacité des entreprises chinoises à être compétitives et rentables dans un environnement exempt de corruption. En outre, nous pouvons raisonnablement assumer qu’avec leurs années d’expérience dans le traitement de ces minerais stratégiques, les entreprises chinoises disposent d’un avantage unique pour proposer la meilleure technologie et peut-être les offres les plus rentables. Seraient-elles exclues si tel était le cas ? Le choix économique objectif serait-il sacrifié sur l’autel des intérêts et des considérations géopolitiques américaines?
Que faudra t-il pour que l’accord réussisse?
L’accord devra rester fidèle à ses objectifs et à son discours officiels, et ne pas servir d’outil géopolitique. Sans aucun doute, il offre une occasion unique à la RDC et la Zambie de se hisser haut dans la chaîne de valeur. La concurrence qu’il apporte dans un secteur largement dominé par la Chine offrira à la RDC et à la Zambie davantage de leviers de négociation vis-à-vis des entreprises chinoises.
Toutefois, pour qu’il réussisse, sa mise en œuvre devra s’abstenir de toute considération géopolitique et la Zambie et la RDC devront être en mesure de fixer les priorités en fonction de leurs intérêts.
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