La coopération militaire de la Chine en Afrique se déploie de façon inédite, mêlant déploiements de casques bleus, programmes de formation, sociétés de sécurité privées et infrastructures à double usage. Si Pékin dispose de documents stratégiques formels – cinq livres blancs depuis 2006, plans quinquennaux et politiques de maintien de la paix – ses actions sur le terrain témoignent d’une grande adaptabilité, suivant la méthode communiste du « franchissement de la rivière en tâtonnant ».
Selon Paul Nantulya, chercheur au think tank Africa Center for Strategic Studies à Washington, cet équilibre entre planification à long terme et souplesse tactique se retrouve dans le rôle de la Chine au sein de l’ONU : premier contributeur parmi les membres permanents du Conseil de sécurité, avec des ingénieurs et du personnel médical déployés au Mali, au Soudan du Sud et en RDC. À cette empreinte onusienne s’ajoutent la diplomatie militaire – attachés, échanges d’officiers, formations en Chine ou in situ – et le forum Chine–Afrique pour la paix et la sécurité, institutionnalisation de dialogues stratégiques.
Sur le volet privé, les sociétés de sécurité chinoises, souvent composées d’ex-militaires, protègent projets et ressortissants dans des zones à risque élevé, en Nigeria ou au Soudan du Sud. Au plan global, l’Initiative pour la sécurité mondiale esquisse un cadre normatif où l’Afrique devient laboratoire et partenaire de l’ambition chinoise de remodeler l’ordre international.
Les États africains accueillent généralement favorablement cette coopération « gagnant-gagnant », sensible aux principes de souveraineté et de respect mutuel, et soucieux d’échapper aux conditionnalités occidentales. Toutefois, la présence de la Chine suscite aussi des inquiétudes : sécurité des investissements, répartition inégale des bénéfices, endettement, pratiques sociales et environnementales. La défiance monte surtout au niveau populaire, tandis que les élites politiques et sécuritaires y voient un partenariat crédible, notamment face au désengagement supposé des bailleurs traditionnels.
L’approche chinoise, non prescriptive vis-à-vis des régimes, lui permet de rebondir lors de changements de pouvoir – Mugabe au Zimbabwe ou coups d’État au Burkina Faso, au Mali, au Niger et en Guinée n’ont pas rompu les liens, même si la junte nigérienne rend désormais difficile l’environnement pour les entreprises chinoises. Pékin s’appuie sur un « sécurité nationale globale », intégrant dimensions économique, politique et culturelle, qui se traduit par la construction de centres de formation policière, la fourniture d’équipements de surveillance et l’exploitation potentielle d’infrastructures duales (ports, télécommunications).
À long terme, la vision chinoise inscrit l’Afrique dans un système mondial parallèle, du FOCAC à la Global Security Initiative (GSI), où la région est à la fois base et co-architecte d’un ordre multipolaire. Cependant, la capacité des États africains à négocier équitablement cette relation dépend de leur force institutionnelle et de l’implication des sociétés civiles. Le véritable test sera de voir si l’Afrique peut imposer ses propres conditions et tirer un développement conforme à ses valeurs, plutôt que de simplement s’adapter aux exigences de Pékin.
Lire l’interview de Paul Nantulya avec LUNGANI HLONGWA sur le site du China-Global South Project (en Anglais)



