Pour certaines raisons, le seul cadre valide et explicatif dans lequel la présence chinoise en Afrique peut être analysée à partir de Washington est celui de la rivalité sino-américaine dans laquelle la Chine est le méchant de l’histoire. Et ceci semble être un avis partagé par les décideurs politiques, les législateurs et autres diplomates américains.
Et c’est donc sans surprise qu’hier on ait retrouvé les éléments de langage de ce narratif dans le témoignage de Eric Schultz, ancien ambassadeur des US en Zambie entre 2014 et 2017, devant la Commission des droits de l’homme Tom Lantos du Congrès américain qui a organisé une session sur le travail des enfants et les violations des droits de l’homme dans l’industrie minière de la République démocratique du Congo.
Comme l’audition portait sur l’industrie minière en RDC et le cobalt, il va sans dire que la Chine, en tant qu’acteur majeur dans le pays, était en quelque sorte au centre des préoccupations des personnes qui ont témoigné.
Eric Schultz, bien que n’ayant pas été impliqué directement en RDC, a porté son témoignage sur la présence et l’empreinte de la Chine dans la région et particulièrement en Zambie.
Nous aurions espéré qu’avec le temps, la quantité d’informations et de recherches contredisant de nombreux mythes sur la Chine en Afrique, il s’en tiendrait à l’écart, et bien nous avions tort !
Son témoignage était un mélange de faits, de demi-vérités et parfois de faits non véridiques. L’essentiel de son témoignage reposait sur le « récit du piège de la dette » et sur le fait que la Chine est mauvaise pour l’Afrique.
Comme espéré, son témoignage était essentiellement axé sur la rivalité entre les Etats-Unis et la Chine en Afrique, en comparant l’engagement des deux pays sur le continent.
Quelques extraits et commentaires
- « La Chine n’efface pas ses dettes »
Commentaire : Oui et non, dirait Deborah Brautigam. La Chine annule les dettes, mais pas les plus importantes. La Chine a effacé des dettes en Afrique mais la plupart d’entre elles étaient des prêts sans intérêt, et ceux liés à l’aide étrangère mais dont la plupart ne représentent que moins de 5% des prêts chinois en Afrique.
- 2. « La Chine utilise la même approche dans tous les pays africains : alimenter l’autoritarisme, la corruption et l’inefficacité économique. Et il existe de nombreux cas où la Chine tire parti de son statut de créancier pour prendre le contrôle d’actifs économiques africains – comme l’aéroport d’Entebbe après un défaut de paiement, ou ses efforts pour construire des bases militaires en Guinée équatoriale ou dans la Corne de l’Afrique, ou encore sa tentative de prendre le contrôle des mines de cuivre de la Zambie. »
Commentaires :
Affirmer que la Chine alimente l’autoritarisme en Afrique revient à nier le fait que la Chine est présente et prospère dans de nombreux pays africains sous toutes sortes de régimes politiques. Des plus transparents aux moins transparents, la Chine est partout, s’adapte et joue selon les règles établies dans l’environnement socio-politique. Pour illustration, le partenaire le plus important de la Chine en Afrique est l’Afrique du Sud.
La critique trouve certainement sa source de la politique étrangère de non-ingérence de la Chine, qui est perçue comme un soutien au régime autoritaire. Cependant, cette critique aurait eu un sens si les États-Unis n’étaient pas eux-mêmes alliés à des régimes autoritaires notoires sur le continent et ailleurs dans les pays du sud.
Et, ironiquement, en mentionnant la base militaire de la Guinée équatoriale, il a omis de mentionner comment les États-Unis ont approché le régime dictatorial de la Guinée équatoriale pour le convaincre de ne pas construire une base militaire chinoise dans le pays.
L’inefficacité économique : La Chine a investi massivement dans les infrastructures africaines, plus que les pays de l’OCDE réunis. Des infrastructures qui ont aidé et stimulé la croissance de l’Afrique au cours des 20 dernières années.
Saisie d’actifs : Il n’y a presque pas besoin de s’attarder sur ce point car il y a une grande quantité de reportages et de recherches qui démentent ces allégations.
3. « Le gouvernement américain pensait que nous n’étions pas en concurrence directe avec la Chine. Si les Chinois étaient prêts à investir des dizaines de milliards de dollars en Afrique – alors que les entreprises américaines restaient sur la touche – qui pouvions-nous bien nous plaindre ?
Mais ce n’est pas un combat loyal. Si le gouvernement américain était prêt à subventionner les investissements américains en Afrique dans la même mesure que les Chinois, il y aurait beaucoup plus d’entreprises américaines en Afrique. »
En effet, si les entreprises américaines avaient reçu un soutien financier plus important de la part du gouvernement américain, elles auraient sûrement été en mesure de concurrencer les entreprises chinoises en Afrique, notamment dans le secteur des ressources naturelles.
Le cas de Freeport Macmoran en RDC est un cas d’école. Le géant minier américain a dû vendre l’un des plus grands projets mondiaux de cuivre et de cobalt au chinois China Molybdenum.
Mais l’incapacité des États-Unis à concurrencer la Chine en Afrique va au-delà des capacités financières – qu’ils ont – du gouvernement ou de leurs entreprises privées. Elle est davantage liée à leur approche aux pays instables, risqués et non démocratiques.
Comment le gouvernement américain protège-t-il ses investissements dans des environnements corrompus sans s’engager dans la corruption dont il accuse la Chine ? Comment garantir le risque pour ses entreprises privées ? Le problème américain réside davantage dans leur capacité à s’adapter et à évoluer dans un environnement politique instable et corrompu tout en restant « propre ».
Une fois qu’ils auront trouvé un moyen de convaincre leurs secteurs privés d’investir et de naviguer dans ces environnements complexes, ils auront fait un pas de plus pour concurrencer la Chine.
Il ne fait l’ombre d’aucun doute que la relation Chine-Afrique est loin d’être parfaite. Elle est déséquilibrée en faveur de la Chine et doit être restructurée. Toutefois, ce n’est pas en propageant des mythes que l’on parviendra à réajuster la trajectoire.
LECTURE RECOMMANDÉE:
- Tom Lantos Human rights commission: Témoignage écrit d’ Eric Schultz (en anglais) , témoignages vidéos (en anglais)