Visiblement non satisfaites de la redistribution des dividendes de l’exploitation de la bauxite en Guinée, les autorités guinéennes ont sommé les opérateurs œuvrant dans le secteur de transformer la bauxite en Guinée.
Il semble que la junte guinéenne soit déterminée à imposer aux opérateurs miniers une nouvelle ligne de conduite face à leurs obligations vis-à-vis de l’État guinéen. Le mois dernier c’est Simandou qui avait été mis à l’arrêt afin de trouver un compromis sur le Trans guinéen. Aujourd’hui c’est le secteur de la bauxite qui est visé. Les demandes des autorités guinéennes ne sont pas surprenantes, et ce d’autant plus que plusieurs operateurs présents dans le secteur, dont le consortium SMB dans lequel on retrouve notamment le Chinois Shandong Weiqiao, avaient joint à leurs opérations l’obligation de construire une raffinerie et une fonderie d’aluminium.
Outre l’incertitude qu’elle pourrait créer sur le marché international, la décision des autorités guinéenne pourrait, dans un délai relativement immédiat, impacter directement la Chine qui y a de gros investissements (14 compagnies minières chinoises sont présentes) et qui importe principalement sa bauxite de Guinée (En 2020, 47% soit 53 millions de tonnes de ses importations de bauxite provenait de Guinée).
La décision du gouvernement guinéen semble s’inscrire dans une tendance un peu plus générale au niveau africain où l’on observe dans plusieurs pays producteurs qui exigent désormais l’installation des unités de traitement et de transformation.
Une tendance à laquelle la Chine doit désormais faire face à cause de sa présence massive dans plusieurs projets miniers importants sur le continent.
En 2018 au Ghana, dans l’accord critiqué pour l’exploitation de la bauxite avec le chinois Sinohydro, le gouvernement ghanéen y a adjoint l’obligation pour l’opérateur de transformer la bauxite et de produire l’aluminium au Ghana.
En République Démocratique du Congo, depuis la fin de l’année 2021 et le début de cette année, les autorités congolaises ont exprimé leur volonté de voir le cobalt, dont le pays est le premier producteur mondial avec 70% de production mondiale, être désormais transformé en RDC afin d’y produire les batteries électriques dont le cobalt est le principal composant.
Et en Guinée comme en RDC, la chine est dans une position presque similaire non seulement de domination du secteur – avec des investissements massifs – mais aussi de quasi-dépendance qui la rend fragile face aux changements qui surviennent dans l’environnement politique de ces pays.
En septembre 2021, dans une sortie diplomatique peu commune, la Chine condamnait clairement le coup d’État et réclamait le retour à l’ordre constitutionnel en Guinée. Une sortie qui démontrait la nervosité de Pékin face à ce changement inattendu. Quelques jours plus tard, c’est le département de commerce de la ville de Shanghai qui identifiait les probables risques auxquels seraient confrontées les entreprises chinoises en Guinée à la suite du coup.
Les exigences des autorités congolaises et guinéennes expriment une volonté manifestée pour ces pays de ne plus qu’être de simples exportateurs de brut et de devenir de véritables acteurs dans la chaine de valeur au niveau mondial.
Possédant, respectivement, la plus grande réserve de Cobalt au monde et la plus grande réserve de bauxite au monde (7.4 milliards de tonnes), la RDC et la Guinée sont quasi absentes en aval de la chaîne de valeur de ces minerais au niveau mondial. Les transformations majeures et essentiels ont lieu à l’étranger et principalement en Chine ; ce qui prive ces pays des revenus considérables générés par les produits finaux.
La faute à un déficit criant d’infrastructures (électriques et routiers), et en capital humain nécessaires à l’industrie de transformation, et à une gouvernance calamiteuse du secteur minier.
Nonobstant ces lacunes, les exigences de ces pays demeurent somme toute légitimes.
Cependant elles pourraient néanmoins constituer un souci majeur pour les entreprises chinoises qui sont déjà soumises à des coûts d’exploitation assez élevés dus non seulement au déficit infrastructurel, mais aussi à la corruption et aux immixtions politiques qui plombent la bonne gouvernance du secteur. L’engagement et les investissements de Pékin dans ces pays viennent avec un coût en termes de réputation et de gestion que très peu d’opérateurs internationaux seraient prêts à payer.
Ainsi dans ce contexte instable, risqué et de mauvaise gouvernance, les exigences des gouvernements congolais et guinéens et d’ailleurs sont susceptibles de devenir une source de tension avec les compagnies chinoises qui pourraient etre tentés de resister ou soit de s’adapter à ce nouvel environnement.
En Guinée, la Chine a toujours la possibilité de compenser la bauxite et le fer en s’approvisionnant en Australie et au Brésil. Jouissant d’un horizon temporel plus long par rapport au régime guinéen, elle pourrait être tentée de faire le dos rond et espérer l’avènement d’un pouvoir plus « conciliant », sans garanties pour autant que le prochain ne renonce à ces demandes.
En RDC, la situation est un peu plus complexe. Le monopole qu’exerce la RDC en matière de cobalt au niveau mondial ne laisse aucune autre option à Pékin. En 2018 elle a fini par mettre en place une raffinerie de cuivre et de cobalt et qui les envoie ensuite en Chine pour transformation finale.
Que ce soit en Guinée, en RDC, au Ghana ou ailleurs, il est fort probable que les revendications se multiplient ailleurs sur le continent. Corrompus ou pas, les gouvernements africains exigeront désormais d’avoir plus de place dans la chaine des valeurs des minerais qu’ils produisent et tirer les dividendes en aval de la chaine de valeur. Et la Chine ne saurait éviter ce débat plus longtemps.
Depuis quelques années, les changements économiques ayant occasionnés entre autres l’augmentation du coût de production, combinés aux strictes politiques environnementales des autorités chinoises, ont obligé plusieurs compagnies minières soit de réaménager, soit fermer, soit délocaliser leurs unités de traitement et de transformation vers les pays producteurs. Ceci explique en partie l’installation de l’usine de traitement au Lualaba par China Nonferrous Metal Mining Group et Yunnan Copper.
Ces changements représentent une opportunité pour les pays africains qui peuvent obtenir des compagnies chinoises des délocalisations vers l’Afrique.
Bien que le déficit en infrastructure demeure l’obstacle majeur, l’essai ne peut être transformé que si les gouvernements africains s’engagent sérieusement à réduire très sensiblement la corruption et la mauvaise gouvernance dans le secteur. La Chine jouit en Afrique d’un avantage qui peut lui permettre de remodeler le paysage minier africain en fixant des normes auxquelles tout autre acteur devra désormais se conformer.