Par C.Geraud Neema & Eric Olander
Dans un contexte international où les prix des minérais critiques sont en constante fluctuation sur fond de tensions géopolitiques devenues le cadre analytique des choix et décisions des acteurs intervenant dans la chaine d’approvisionnement, la Chine semble maîtriser l’art de la planification stratégique à long terme.
Alors que les prix du cobalt ont chuté à seulement $21.544 dollars la tonne, contre $94.131 dollars la tonne en 2018, des entreprises minières chinoises comme le groupe CMOC continuent d’atteindre des niveaux de production records – 114 165 tonnes en 2024. Pour un observateur extérieur, cette stratégie d’approvisionnement agressive peut sembler contre-intuitive.
Pourquoi accroitre la production alors que les prix sont au plus bas ?

C’est la question que l’on se pose depuis plusieurs mois. La réponse, en réalité, n’a peut-être rien à voir avec les profits à court terme, ou encore un calcul géopolitique mais tout avoir avec l’avenir énergétique de la Chine.
Au départ, les analystes – nous y compris – ont interprété cette approche de CMOC comme une tentative d’évincer la concurrence. Si la Chine domine la chaîne d’approvisionnement du cobalt, les entreprises privées aux États-Unis, en Australie et en Europe risquent de ne pas pouvoir rivaliser, laissant à la Chine un contrôle sans partage sur cette ressource essentielle. Avec des prix bas, il devient difficile pour ces entreprises occidentales de sécuriser les financements nécessaires au développement de leurs projets miniers.
Cependant, après de récents échanges avec des dirigeants d’entreprises minières chinoises, une autre explication a émergé – une qui met en lumière la capacité particulière de la Chine à penser en décennies plutôt qu’en trimestres financiers.
Ces dirigeants ont rejeté l’idée d’un calcul géopolitique, nous exhortant à sortir du prisme occidental. « Tout ne tourne pas autour des États-Unis ou de l’Europe », ont-ils expliqué à Eric. À la place, ils ont mis en avant une grille de lecture: l’engagement de la Chine à devenir neutre en carbone d’ici 2050. Pour atteindre cet objectif ambitieux, le pays aura besoin d’énormes capacités de stockage d’énergie, notamment sous forme de batteries, et le cobalt joue un rôle central dans ces technologies de stockage.
Et en 2045, celui qui aura stocké du cobalt à $21.544 dollars la tonne en 2024-2025 passera pour un génie !
Cette perspective s’inscrit dans un schéma plus large qui caractérise l’approche chinoise des minérais critiques.
Un récent rapport publié en janvier par l’institut de recherche en développement AidData, du College of William & Mary aux États-Unis, met en évidence la manière dont Pékin a méthodiquement construit son contrôle sur des minerais clés, garantissant ainsi son rôle indispensable dans la chaîne d’approvisionnement mondiale.
Aujourd’hui, l’utilisation principale du cobalt concerne les batteries des véhicules électriques (VE), mais la technologie évolue.
Les batteries LFP (lithium fer phosphate), comme celles qui équiperont la future Chevy Bolt, gagnent du terrain face aux batteries NMC (nickel-manganèse-cobalt) en raison de leur sécurité et de leur longévité.
Pourtant, l’intérêt de la Chine pour le cobalt va bien au-delà des véhicules électriques. Le pays investit massivement dans le stockage d’énergie à l’échelle des réseaux électriques, non seulement sur son territoire, mais aussi dans des marchés comme l’Arabie saoudite, l’Afrique du Sud et probablement d’autres pays du Sud global.
Cela signifie que le cobalt produit aujourd’hui pourrait bien alimenter demain d’énormes systèmes de batteries destinés à stabiliser les réseaux électriques de Riyad et de Johannesburg, et surtout, à renforcer la sécurité énergétique de la Chine.
En résumé, la Chine et ses entreprises minières poursuivent probablement des objectifs axés bien plus sur leur sécurité énergétique à long terme – en ligne avec leur ambition de neutralité carbone d’ici 2050 – que sur la rivalité géopolitique actuelle avec les États-Unis et l’Europe. Dans un contexte géopolitique hautement polarisé, il n’est pas toujours facile pour les décideurs à Washington et Bruxelles de sortir d’une vision centrée sur l’Occident.
Pourtant, c’est essentiel si l’on veut réellement comprendre les motivations de la Chine dans la course aux ressources critiques.




 
							 
							