Le BRICS devrait-il s’élargir ? C’est la principale question à laquelle devront répondre les cinq membres fondateurs qui n’émettent pas sur la même longueur. Sur la table, c’est près d’une quarantaine expression d’intérêts dont une douzaine demandes formelles d’adhésion.
Du coté des Pours, on retrouve la Chine et la Russie, les deux principales forces du BRICS, accompagnés de l’Afrique du Sud qui sont pour une expansion du bloc et ce pour différentes raisons.
Là où Pékin entend formellement élargir sa zone d’influence dans les pays du sud à travers une organisation formelle et structurée, Moscou entend briser l’isolement diplomatique dans laquelle la guerre en Ukraine l’y a quelque peu plongé.
Quant à l’Afrique du Sud, qui jusqu’il y a quelques mois exprimait des réserves face à une expansion hasardeuse du bloc, bien qu’ayant été à l’origine du débat en 2018, semble s’être rangée, pour des raisons encore difficilement explicables, dans les rangs des pours. Autant son président Cyril Ramaphosa a présenté l’expansion des BRICS comme « un groupe diversifié de nations avec des systèmes politiques différents qui partagent un désir commun d’avoir un ordre plus équilibré », autant il a réitéré la position de non-alignement de l’Afrique du sud au niveau international.
Du coté des hésitants, on retrouve le Brésil et l’Inde qui expriment des réserves face à une expansion précipitée ou trop rapide du bloc. Là où le Brésil craint de voir son influence diluée avec l’adhésion des pays rivaux et puissants d’Amérique latine et d’ailleurs, New Delhi vit difficilement la domination dans l’organisation, de son rival la Chine qui sera certainement le premier bénéficiaire de cet élargissement.
Un élargissement réussi du BRICS devra à trois questions pressantes :
Identité : 14 ans après sa réunion formelle en Russie, le temps est venu de définir clairement sa nature et ses objectifs. Est-ce une organisation politique, économique, un bloc idéologique, un simple rassemblement des pays du sud, une alternative aux G20 et au G7, un ordre mondial axé sur les pays du Sud ? Autant de questions qui demeurent sans réponses.
Comment concevoir une expansion réussie d’une organisation qui peine encore à se définir et à définir ces combats. Une situation qui tend à confirmer l’hypothèse d’un ressentiment anti-occidental – alimentée par la perception d’une offre nouvelle qu’offrirait le BRICS – comme principale motivation derrière la douzaine de demandes d’adhésion à l’organisation.
Pouvoir et influence : Qu’en sera-t-il du sort des membres fondateurs ? Difficile d’envisager sérieusement l’expansion de l’organisation sans répondre à la question de l’influence et du poids des membres fondateurs. Si la Chine et la Russie n’ont pas à s’en inquiéter, les autres pays membres ont de quoi s’inquiéter.
Là où Pékin et Moscou peuvent compter sur leur puissance militaire, économique et politique pour continuer à demeurer influant, le Brésil et l’Afrique du Sud pourraient bien facilement y perdre en influence au sein d’une institution élargie à des pays plus puissants.
Qui voudrait perdre du pouvoir et de l’influence au sein d’un cercle, jusque-là fermé et relativement puissant, au nom du multilatéralisme ?
La réponse à ces craintes pourrait éventuellement être trouvée non seulement dans les conditions d’adhésion – qui permettraient une adhésion contrôlée – mais aussi dans la réorganisation et le fonctionnement de ce qui pourrait devenir le BRICS +.
Mécanismes & fonctionnement : Un BRICS + engendrera inévitablement avec une restructuration de l’organisation pour accommoder les réalités dues à son élargissement.
Seule une restructuration ou des mécanismes qui garantissent un statut particulier ou privilégié aux membres fondateurs pourraient rassurer le Brésil et l’Afrique du Sud.
En l’absence de tels mécanismes, il sera difficile de voir l’Afrique du Sud ou le Brésil ne pas perdre en influence au sein de l’organisation désormais élargie à des économies plus grandes et plus puissantes.
Cependant de la mise en place de tels mécanismes se heurterait à deux écueils.
- Le premier est qu’il serait en contradiction avec le narratif autour du BRICS et la perception qu’on en a, celle d’une organisation plus égalitaire et différente des organisations internationales où dominent les voix des pays développés.
- Le second est qu’il sera en inadéquation avec la réalité géopolitique du groupe et de ses nouveaux membres. Comment convaincre l’Arabie Saoudite, principale allié de Pékin dans le Moyen-Orient et premier producteur mondial de pétrole de se soumettre aux privilèges des pays comme le Brésil ou l’Afrique du Sud ?
Un BRICS + anti-occidental?
Malgré l’intérêt manifesté par des pays comme l’Iran ou le Venezuela, il n’y a que très peu de chances, s’ils venaient à intégrer l’organisation, de voir le BRICS + devenir une organisation fondamentalement anti-américaine, rivale au G7 eu au G20 ou une sorte de coalition dans une nouvelle guerre froide.
Au-delà des postures diplomatiques qui rejettent toute ambition de rivalité anti-occidentale, il sera simplement très difficile d’embarquer les nouveaux adhérents, malgré leurs frustrations, dans une rivalité anti-occidentale, dès lors que nombreux d’entre eux entretiennent des relations étroites avec Washington et d’autres capitales occidentales et ne peuvent donc se permettre le luxe de se placer au milieu d’une rivalité géopolitique mondiale.
Autant l’élargissement de l’organisation pourrait lui permettre d’étendre son champ d’influence et son pouvoir dans l’hémisphère Sud, autant si elle est mal négociée, elle pourrait bien signer la mort de l’organisation telle qu’on la connait aujourd’hui.