Malgré des votes divisés sur la guerre en Ukraine, collectivement, les pays africains sont restés en marge du conflit, refusant de prendre clairement position.
Les votes africains n’avaient pas permis de dégager une logique d’ensemble concernant une position collective du continent, si ce n’est que chaque pays semblait avoir été motivé par ses propres raisons pour voter contre ou pour Moscou, les plus prudents ayant choisi l’abstention.
L’abstention qui – au grand dam des capitales occidentales – est devenue plus tard la posture collective adoptée par les pays africains, gouvernants, élites, société civile, qui ont décidé de botter en touche dans un conflit qui « visiblement » ne les concerne pas.
Le président ukrainien l’a très vite constaté, lorsque voulant s’adresser à ses paires africains, seuls quatre se sont présentés. Et même ceux qui avaient condamné Moscou n’étaient pas présents.
Si cette neutralité a pu être justifiée par les antécédents historiques, la distance, les conditions et les contours géopolitiques de ce conflit, elle pourrait cependant bien être remise en question sur la crise naissante entre la Chine, Taiwan et les Etats-Unis.
En visitant Taiwan, Nancy Pelosi, présidente de la chambre des représentants américains, a créé une crise – relativement mineure et jusque-là bilatérale entre Pékin et Washington – dans laquelle certains pays, notamment africains, pourraient devoir prendre position – plusieurs l’ont déjà fait – en faveur ou contre Pékin, surtout si la crise venait à escalader.
En effet, le pendant politique de l’engagement chinois en Afrique et ailleurs repose sur le soutien politique que Pékin demande et reçoit de ces pays concernant ses intérêts vitaux, tels que la politique de la « Chine Unique » qui reconnait Taiwan comme partie intégrante de la Chine.
Et aujourd’hui face à Taiwan, elle fait face à une situation où elle souhaiterait un ralliement des pays africains sur la question.
Mais respectera-t-elle leur neutralité s’ils ne venaient pas à se prononcer sur la crise ?
Sur le continent plusieurs pays l’ont déjà fait, dont la RDC qui à travers son ambassadeur à Pékin, a clairement pris position en faveur de Pékin. Dans une interview accordée à la télévision d’État, CGTN, François Nkuna Balumuene, a rappelé le soutien de la RDC à la politique d’une Chine unique et considéré la visite de Pelosi comme une immixtion dans les affaires intérieures de la Chine. C’est en des termes similaires que les autres pays africains se sont prononcés.
Le cas de la RDC est intéressant à observer et pourrait être révélateur de la complexité des facteurs qui déterminent la politique étrangère des pays africains.
Dans la crise ukrainienne, le gouvernement congolais qui avait pourtant voté à deux reprises contre Moscou aux Nations-unies, s’était par la suite rapproché d’elle pour solliciter son soutien dans la crise qui secoue l’est de la RDC, au point de susciter quelques inquiétudes au niveau de Washington.
Dans le cas de Taiwan, sa position est somme toute logique au regard de la nature des relations économiques qui lient les deux pays. Premier producteur mondial de cobalt, avec une présence massive chinoise dans son secteur minier, les deux pays sont au cœur de l’industrie des batteries électriques.
Ces deux positions confirment la singularité de chaque pays africain et des motivations qui sous-tendent leurs positions sur certaines questions internationales.
Il se pourrait donc que nous assistions à un scenario similaire où plusieurs pays africains prendront ouvertement fait et cause pour Pékin, et une bonne partie préférant à nouveau le silence.
Un silence ou neutralité, c’est selon, qui pourrait cependant gêner Pékin qui, en échange de ses investissements massifs en Afrique, espère bien un soutien sans faille du continent sur la scène internationale.
Pékin qui avait salué, respecté la neutralité africaine sur la crise en Ukraine, allant parfois jusqu’à l’encourager, aura-t-elle la même attitude conciliante sur la question de Taiwan ?
Ou attendra-t-elle un soutien sans équivoque de ses alliés africains … dans une crise qui ne les concerne pas non plus.
Car si l’Ukraine qui fournit une grande partie du blé consommé en Afrique, est considéré comme un pays lointain pour lequel il ne faudrait pas prendre position, ce n’est certainement pas Taiwan, qui n’est plus reconnu par la large majorité des pays africains, qui mériterait une réponse ou encore une quelconque posture de ces pays en faveur de Pékin.
Quels possibles messages à tirer ?
En définitive cette crise, dépendant de son niveau d’escalade et des réactions des pays africains, pourrait permettre de clarifier les positions africaines sur la crise ukrainienne et ses relations avec la Chine:
- Si la grande majorité des pays africains venaient à se prononcer en faveur de la Chine : Au-delà de l’influence avérée chinoise sur le continent, la neutralité exprimée sur la crise en Ukraine aura donc été un message, l’expression d’un certain ras-le-bol et un désenchantement vis-à-vis de l’occident. Ce qui du reste expliquerait le ralliement massif derrière Pékin. La neutralité affichée sur l’Ukraine n’aura donc pas été passive mais silencieusement active.
- Si comme l’Ukraine, une bonne partie décide de garder silence : Ceci pour être le signe des pays africains qui tiennent à affirmer leur indépendance, et un non-alignement de leur politique étrangère sur les intérêts des grandes puissances dans un dossier qui ne les concernent pas. À la Chine de comprendre que le soutien politique n’est pas un acquis permanent.
En attendant de voir l’évolution la situation – à défaut d’un soutien ouvert et direct – Pékin ferait bien de se contenter de la neutralité bienveillante africaine et ce d’autant plus que rien ne leur ait encore demandé par l’occident.
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