J’ai toujours trouvé paresseux et pourtant irrésistiblement attrayant l’angle géopolitique – voilà pourquoi je comprends un peu ceux qui en ont recours – de présenter le projet du corridor de Lobito en Angola comme un outil géopolitique des États-Unis destiné pour contrer l’influence de la Chine en Afrique et dans les chaînes d’approvisionnement en minerais critiques de la région.
Certes, ce narratif s’est largement présenté et porté dans les cercles politiques américains, les médias et les think tanks, mais un simple regard sur l’historique du projet aurait suffi à démonter cette approche simpliste qui ne resiste pas à un examen minutieux des faits.
Lorsqu’en 2022, l’Angola a attribué le contrat de concession de 30 ans pour le chemin de fer de Benguela, il l’a fait à l’issue d’un appel d’offres ouvert. Le choix s’est porté sur un consortium européen – le Lobito Atlantic Railway (LAR) – mené par Trafigura, associé au portugais Mota-Engil (dont 32,4 % du capital est détenu par l’entreprise publique chinoise China Communications Construction Company – CCCC) et au belge Vecturis. Aucune entité gouvernementale ou privée américaine n’était impliquée.
Pour Luanda, la priorité était claire : relancer le chemin de fer de Benguela – artère vitale reliant le Copperbelt à l’Atlantique via le port de Lobito et pièce maîtresse du corridor de Lobito – en choisissant l’opérateur le plus viable économiquement, et non un instrument politique… encore moins un instrument dirigé contre la Chine.
Oui, le projet a finalement suscité un soutien notable de la part des États-Unis, sous forme de financements et d’attention et de soutien diplomatique. Mais ce soutien ne signifie pas contrôle, l’Angola reste seule maîtresse à bord.
Nombreux, aux États-Unis et ailleurs, sont ceux qui ont décrit et qui continuent toujours à le faire, le projet comme la plus grande initiative de Washington pour contrer la présence chinoise en Afrique. Cette lecture exagère cependant l’influence américaine sur ce qui demeure fondamentalement une initiative dictée par des besoins économiques, fondée sur les infrastructures et répondant à une logique économique nationale et régionale.
Dans une récente interview, le nouveau PDG de LAR, Nicholas Fournier, a encore clairement présenté les choses : « le projet est une entité purement commerciale, sans aucune considération géopolitique ». Et il a même confirmé qu’il y avait déjà huit entreprises minières chinoises opérant dans la région de Kolwezi en RDC, qui utilisaient activement le chemin de fer.
Et cela a totalement du sens…
Ni l’Angola ni le consortium n’ont intérêt – politique et économique – à utiliser ce chemin de fer comme un outil géopolitique, en interdisant l’utilisation aux compagnies minières chinoises opérant dans la région.
Le modèle économique du consortium reposant notamment sur la grosse activité minière dans la province du Lualaba en RDC, il n’y aurait aucune logique économique à se priver de ses principales sources de revenus en excluant les acteurs les plus importants du secteur minier de la région, à savoir les entreprises minières chinoises.
N’oublions pas que les prêts contractés par LAR pour réhabiliter le corridor – y compris ceux provenant de la US Development Finance Corporation (DFC) – devront être remboursés. Écarter les plus gros utilisateurs compromettrait donc directement la viabilité financière du projet.
Au-delà des conséquences géopolitiques qu’impliquerait une exclusion explicite ou implicite de Pékin, l’Angola n’a aucun intérêt à voir ce chemin de fer sous-utilisé.
En conclusion, c’est un plaisir rare de lire, de la bouche même du PDG de LAR, ce que beaucoup d’entre nous répètent depuis le début de ce débat : prendre le corridor de Lobito comme un pari géopolitique – et plus encore comme une stratégie américaine visant à affaiblir la Chine – relève d’une lecture paresseuse et erronée de la réalité.
Il s’agit d’un projet africain, porté par une logique commerciale, centré sur la viabilité économique, et non sur des mises en scène géopolitiques. Et juste pour rappel, le corridor de Lobito n’est pas un projet américain.







