Par Pamela Carslake
Alors que la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine s’intensifie, les économies africaines sont de plus en plus exposées au risque d’en subir les effets collatéraux. Écartée en grande partie du marché américain, du moins temporairement, la Chine pourrait provoquer, par ricochet, une baisse marquée de la demande pour certaines ressources stratégiques africaines, suscitant de vives inquiétudes parmi les exportateurs du continent.
Parallèlement, en Afrique, la combinaison de nouveaux tarifs douaniers américains et de la suspension des activités de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) a porté un coup sévère aux pays fortement dépendants de l’aide et des échanges commerciaux avec Washington.
Si ces évolutions suscitent des inquiétudes légitimes, les tensions grandissantes entre les deux premières économies mondiales pourraient également ouvrir des perspectives stratégiques pour les décideurs africains.
En effet, l’inflation résultant de l’escalade tarifaire sino-américaine pourrait inciter les marchés internationaux à rechercher de nouveaux fournisseurs, offrant ainsi aux pays africains l’opportunité de se positionner comme des alternatives crédibles. Ces mutations mondiales doivent encourager les dirigeants africains à adopter une posture plus proactive, en diversifiant leurs partenariats commerciaux et en renforçant le commerce intra-africain.
Par ailleurs, les récents développements mettent en lumière la dépendance structurelle de nombreuses économies africaines à l’égard de grandes puissances — notamment la Chine —, les rendant vulnérables face aux aléas économiques et politiques extérieurs. Dans des pays comme l’Éthiopie, Djibouti ou l’Angola, la Chine représente non seulement le principal partenaire commercial, mais également le créancier bilatéral le plus important.
Dans ce contexte, une diversification résolue des relations économiques apparaît essentielle pour réduire les vulnérabilités structurelles et mieux se prémunir contre les tensions géopolitiques et les chocs exogènes.
Leçons pour les décideurs africains
Renforcer le secteur manufacturier: Le différend commercial entre les États-Unis et la Chine souligne l’importance cruciale du développement industriel. La capacité de la Chine à résister aux pressions tarifaires américaines repose en grande partie sur la solidité et l’étendue de son secteur manufacturier.
Cette force d’exportation massive confère à Pékin un levier stratégique considérable dans les négociations commerciales, un atout dont sont largement dépourvues les économies africaines. Le sous-développement de l’industrie manufacturière sur le continent contribue à maintenir une dépendance excessive aux exportations de matières premières, limitant ainsi leur capacité à s’insérer durablement dans les chaînes de valeur mondiales.
Éviter la dépendance commerciale excessive: La guerre commerciale illustre également les risques liés à une dépendance trop marquée à l’égard d’un seul partenaire commercial. Aujourd’hui, la Chine domine largement les échanges avec la plupart des pays africains, mais les flux commerciaux sont très déséquilibrés : les exportations chinoises vers l’Afrique surpassent largement les importations en provenance du continent.
Si les produits chinois favorisent l’accès à des biens abordables pour les consommateurs africains, ils exercent une pression concurrentielle néfaste sur les industries locales, entravant ainsi l’émergence d’un tissu industriel africain robuste.
Du « Made in China » au « Made in Africa »
La question centrale est donc : comment les pays africains peuvent-ils réduire leur dépendance aux produits chinois, étant donné la position dominante de la Chine comme principal fournisseur d’importations ?
La solution réside dans la construction d’une nouvelle base industrielle plus robuste à travers le continent.
Les pays africains doivent intensifier le commerce intra-continental, notamment grâce à des initiatives telles que la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf). Cependant, bien que la ZLECAf représente un grand espoir, sa vision d’un marché africain unifié reste en grande partie théorique. Des barrières persistantes et des goulets d’étranglement continuent d’entraver la libre circulation des marchandises. Parmi les défis les plus pressants figurent les problèmes logistiques : de nombreuses régions du continent manquent d’infrastructures critiques telles que des routes, chemins de fer et ports fiables.
La mise en œuvre efficace de la ZLECAf exige également l’harmonisation des cadres réglementaires, des politiques fiscales et des procédures douanières entre les États membres. Une telle harmonisation est essentielle pour créer une cohérence dans les règles et normes, et éliminer les barrières qui freinent actuellement le commerce transfrontalier. Toutefois, parvenir à ce niveau de coordination reste un défi majeur pour de nombreux pays membres.
En outre, la question de la diversification des produits doit être abordée.
Les pays africains doivent mieux coordonner leurs exportations pour éviter la duplication et limiter la concurrence entre eux dans la vente des mêmes produits. Après tout, le Rwanda ne pourra pas vendre beaucoup de café à l’Ouganda.
Une nécessité impérieuse de coordination
Les bénéfices d’un marché continental unifié profiteront avant tout aux pays capables de proposer une offre de produits différenciée et compétitive. Il est donc impératif de renforcer la capacité de production locale, d’éliminer les barrières non tarifaires, de numériser les processus commerciaux et de stimuler l’investissement dans des secteurs stratégiques.
Une stratégie commerciale africaine concertée et tournée vers l’industrialisation est indispensable pour transformer durablement les économies du continent.
Gérer stratégiquement les importations chinoises
Face à l’afflux massif de produits chinois, les gouvernements africains doivent soutenir activement le développement d’industries locales compétitives. Cela pourrait passer par :
- L’instauration de mesures tarifaires ciblées ;
- L’établissement de quotas d’importation ;
- L’octroi de subventions et d’incitations fiscales aux industries locales ;
- La promotion de la consommation de produits locaux à travers des campagnes de sensibilisation.
Ces mesures doivent s’inscrire dans une politique industrielle cohérente visant à favoriser l’émergence de champions industriels africains.
Transfert de technologie et de compétences
En matière de partenariats manufacturiers avec des acteurs internationaux comme la Chine, les décideurs africains doivent réviser et renforcer les lois locales sur l’investissement afin de mieux soutenir le développement du secteur manufacturier, notamment par le biais du transfert de connaissances et de compétences. Si de nombreux pays, dont le Ghana, disposent de cadres juridiques pour encadrer les investissements étrangers et le transfert de technologie, ces lois n’imposent généralement pas aux entreprises étrangères de transférer des compétences ou des technologies aux partenaires locaux. Elles se contentent souvent de demander l’enregistrement des accords de transfert de technologie (ATT) lorsqu’ils existent.
Cette approche largement volontaire et non contraignante limite le potentiel de renforcement des capacités industrielles africaines. Mettre à jour ces cadres juridiques pour imposer un véritable transfert de compétences et de technologies contribuerait à bâtir une base manufacturière plus robuste et plus compétitive, positionnant ainsi les pays africains pour mieux s’insérer dans les marchés mondiaux.
Diversifier les marchés d’exportation
La guerre commerciale sino-américaine rappelle aussi l’importance de diversifier les débouchés extérieurs. L’Asie du Sud-Est, par exemple, offre de nouvelles opportunités commerciales prometteuses. Les visites récentes de dirigeants africains au Vietnam témoignent d’une prise de conscience croissante de la nécessité de multiplier les partenariats stratégiques.
Éviter la dépendance à une seule grande puissance est désormais un impératif pour garantir la résilience des économies africaines face aux turbulences internationales.
Cette diversification est essentielle pour éviter une dépendance excessive à une seule puissance mondiale et pour ouvrir de nouvelles voies commerciales capables de protéger les économies africaines contre les chocs externes. L’imposition de tarifs américains sur les nations africaines illustre l’impact du réalisme politique (realpolitik) sur le commerce international et souligne l’importance de défendre les intérêts continentaux.
Le différend entre les États-Unis et la Chine offre une leçon essentielle : les pays dotés d’une forte capacité industrielle sont mieux préparés pour faire face aux tensions commerciales mondiales. Les dirigeants africains doivent s’inspirer de cet enseignement pour renforcer leurs industries locales et élargir l’accès aux marchés régionaux et mondiaux.
Pamela Carslake est Directrice exécutive du Centre Afro-Sino pour les relations internationales à Accra, au Ghana.






