Par Daniel Bradlow et Magalie Masamba
La pandémie de COVID-19 a eu un impact négatif particulièrement profond sur la situation de la dette souveraine de l’Afrique. Actuellement, 22 pays africains à faible revenu sont soit en situation de surendettement, soit à haut risque de surendettement. Cette situation risque d’être exacerbée par la guerre entre la Russie et l’Ukraine, qui entraîne une hausse des prix des produits de base (notamment des denrées alimentaires et de l’essence) et perturbe les chaînes d’approvisionnement en biens essentiels comme les engrais.
La capacité du continent à relever le défi de la dette est compliquée par l’évolution de la composition de la dette qui s’est produite au cours des dix dernières années. En 2020, l’Afrique subsaharienne avait un stock total de dette extérieure de 702,4 milliards de dollars, contre 380,9 milliards de dollars en 2012. Environ 60 % des dettes extérieures de l’Afrique sont dues à ses créanciers officiels. En plus de ses créanciers officiels traditionnels, le groupe comprend désormais des prêteurs du Sud global comme la Chine, l’Inde, la Turquie et de nouvelles institutions multilatérales comme la Banque africaine d’import-export et la Nouvelle banque de développement. En outre, les euro-obligations représentent désormais environ 20 % du stock total de la dette.
Dans ce contexte, notre nouvel ouvrage pluridisciplinaire, COVID-19 and Sovereign Debt : The Case of SADC, se concentre sur la question de la gestion et de la renégociation/restructuration de la dette souveraine africaine, avec une attention particulière pour les pays membres de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC). Il contient une série d’essais initialement présentés lors de plusieurs ateliers virtuels organisés en 2020 au plus fort de la pandémie, qui cherchent à la fois à comprendre les défis de la dette auxquels la SADC est confrontée et à proposer des recommandations axées sur les politiques.
Le recueil comprend des contributions d’experts internationaux et de chercheurs d’Afrique australe, qui traitent des complexités de la gestion et de la restructuration de la dette, à la fois en général et dans les États membres de la SADC dans le contexte de la pandémie mondiale de COVID-19.
Destiné à stimuler le débat entre les universitaires, les activistes, les décideurs politiques et les praticiens sur la manière dont la SADC devrait gérer sa dette, le livre propose cinq recommandations clés :
1. Transparence de la dette : Les pays de la région devraient adopter des exigences complètes en matière de divulgation des données relatives à la dette et des procédures d’emprunt public qui soient transparentes, participatives et qui facilitent la responsabilisation des décideurs concernés.
La transparence de la dette est la pierre angulaire de la réforme de la gestion de la dette. Il faut pour cela développer des initiatives de divulgation de la dette nationale dans le cadre de la gestion budgétaire. Parmi les autres exigences figurent la participation, le cas échéant, de toutes les parties prenantes et la responsabilisation. Les pays doivent partager les informations relatives à la dette avec leurs créanciers, les institutions financières multilatérales dont ils sont membres, et doivent rendre ces informations accessibles au public par le biais de plateformes nationales.
2. La bonne gouvernance : Les politiques nationales de gestion de la dette devraient être renforcées pour traiter les questions de gouvernance.
Les cadres et les pratiques de gestion de la dette des Etats devraient se conformer à tous les principes de bonne gouvernance – transparence, participation, responsabilité, prise de décision raisonnée et dispositifs institutionnels efficaces.
3. La prévisibilité juridique : Les dispositions contractuelles des contrats de dette doivent être renforcées.
La dette est une relation contractuelle. Il est donc important, tant pour le débiteur que pour ses créanciers, que leurs dispositions contractuelles soient aussi complètes que possible. Cela signifie que les contrats doivent répartir équitablement les risques entre les parties en fonction de celle qui est la plus apte et la plus disposée à les accepter et qu’ils doivent fournir aux parties des réponses claires aux problèmes qui pourraient survenir entre elles. Par conséquent, les décideurs de la SADC devraient fournir des orientations à leurs gestionnaires de la dette sur les conditions qu’ils peuvent accepter dans les négociations contractuelles.
4. Comparabilité du traitement : Veiller à ce que, le cas échéant, la restructuration des dettes souveraines soit menée avec tous les créanciers participant à des conditions comparables.
Les débiteurs souverains de la SADC devraient offrir à tous les créanciers un traitement comparable et démontrer qu’ils le font. Cela permettra à la fois de renforcer la confiance des créanciers dans le débiteur et de les rassurer sur le fait que tout allégement qu’ils accordent profitera au débiteur plutôt qu’aux autres créanciers.
5. Une approche globale : La gestion et la restructuration de la dette souveraine doivent être traitées de manière globale.
La dette souveraine n’est pas seulement une question financière ; elle a des répercussions sur la situation sociale, politique, économique, culturelle et environnementale du pays débiteur. Elle nécessite une approche globale de la restructuration de la dette qui intègre toutes les parties prenantes et aborde toutes les questions nécessaires, allant de la viabilité financière aux impacts de la restructuration sur la société, les droits de l’homme et l’environnement.
Daniel Bradlow est le professeur SARCHI de droit international du développement et de relations économiques africaines à l’université de Pretoria, en Afrique du Sud. Il est également professeur émérite de droit à l’American University, Washington College of Law à Washington, D.C.
Magalie Masamba est chargée de recherche post-doctorale sur la Chine globale au Global Development Policy Center de l’université de Boston et chargée de recherche post-doctorale au Centre pour les droits de l’homme de l’université de Pretoria.